Zertz




Le jeu
Un plateau de jeu qui fond comme neige au soleil ; les billes sont les pions, qui n’appartiennent à personne, mais qu’il faut quand même capturer. Bienvenue dans l’univers atypique de ZERTZ. Sacrifice et anticipation seront vos principales armes pour vaincre votre adversaire. Saurez-vous sacrifier les bonnes billes pour atteindre la victoire ?

Comment ça marche

Le plateau de jeu est constitué d’anneaux qui forment un hexagone régulier de 4 cases de coté (version de base) ou 5 cases de coté. De plus, les joueurs disposent de 6 billes blanches, 8 grises et 10 noires. Les règles sont très simples : à son tour, un joueur pose une bille sur l’un des anneaux de son choix et retire un anneau du bord du plateau (retirable en le glissant, sans bouger d’autres anneaux) sur lequel il n’y a pas de billes.
Lorsque deux billes sont l’une à coté de l’autre et que l’une des billes peut sauter, en ligne droite, par dessus sa voisine en atterrissant sur un anneau vide, il y a prise. La prise est un coup obligatoire qui remplace la pose de la bille et le retrait d’anneau. 


On peut aussi capturer des billes en isolant un groupe d’anneaux. Si tous les anneaux isolés sont occupés par une bille, le joueur qui les isole capture immédiatement toutes ces billes en retirant les anneaux concernés du jeu.
Le premier joueur qui capture 4 billes blanches ou 5 grises ou 6 noires ou 3 de chaque couleur remporte la partie.
Position de départ    

J’offre une noire

Et je vais pouvoir capturer la blanche

Il est simple d’offrir une noire pour récupérer une blanche (qui "vaut" plus que la noire). Évidemment, votre adversaire ne vous laissera jamais devant une telle situation. Et il faudra donc, face à des situations plus complexes, être capable de créer des combinaisons de prise vous permettant d’effectuer une prise finale avantageuse pour vous. Chaque situation où vous n’êtes pas obligé de pendre peut donc s’apparenter à un casse-tête. Vous allez devoir chercher dans votre tête comment placer les billes dans une position vous permettant de faire une bonne prise. Pour cela, il va falloir offrir des billes, mais en offrir moins que le résultat de votre combinaison. Et si vous n’arrivez pas à mettre en place une telle combinaison, il faudra placer une bille dans une position qui ne permettra pas à votre adversaire de faire facilement une combinaison gagnante.
Il faut donc constamment chercher à résoudre un casse-tête ou se débrouiller pour en proposer un compliqué à votre adversaire.
Bien évidemment, la recherche de telles combinaisons n’est pas évidente et demande de la pratique, à la fois pour les trouver mais aussi pour éviter de laisser le plateau dans une position trop avantageuse pour votre adversaire. Plus que tout autre jeu abstrait, ZERTZ nécessite donc une certaine pratique pour être maîtrisé. Et, au-delà d’une pratique, un apprentissage

Mais, passé cet écueil, le jeu révèle un visage incroyable et un plaisir ludique assez rare. A la fois parce qu’il est basé sur un concept peu commun, à savoir la non-appartenance des pions à un joueur et la diminution du plateau, mais aussi parce que ce concept est lié à une règle beaucoup moins originale : la prise. Capturer dans un jeu abstrait, c’est vieux : go, échecs, dames, backgammon, tous les grands classiques proposent des règles de capture. Mais quand on doit capturer des pions que l’on ne contrôle pas, car les deux joueurs peuvent les jouer comme ils veulent, on obtient un résultat déroutant.
Cependant, il faut bien avouer que certaines parties peuvent se révéler frustrantes. Quand un joueur lance une attaque, on se retrouve à prendre sans réflexion (sauf lors des coups doubles, mais ce ne sont pas les plus fréquents ; un coup-double est une double possibilité de capture lors d’un tour de jeu), et au terme, d’une grosse combinaison, le joueur se plante, il n’arrive pas à gagner et la victoire devient pour nous, alors, une simple formalité. C’est toujours très frustrant de gagner de cette manière. Lorsque que l’adversaire gagne, la partie fut certes bizarre, mais on a la satisfaction d’avoir vu une magnifique combinaison se créer. Et c’est en cela que ZERTZ se trouve à mi-chemin entre casse-tête et jeu abstrait pour deux joueurs. On y retrouve donc le bonheur de la confrontation des jeux abstraits et la frustration des casse-tête. Et, entre les deux, la satisfaction de la "belle combinaison" commune aux deux genres.
Le jeu se joue aussi à plusieurs niveaux en fonction de la taille du plateau. Le jeu standard se joue sur un plateau de 37 anneaux, parfait pour découvrir. Cependant lorsqu’on maîtrise le jeu, ce plateau apparaît rapidement plutôt petit et on cherche à passer sur le +11 (48 anneaux). De taille moyenne, ce plateau permet de commencer à déployer des combinaisons intéressantes. Lorsque l’on maîtrise bien le jeu, on peut passer sur le "vrai" plateau, celui qui permet de donner toute sa grandeur à ZERTZ, le +24 (61 anneaux). C’est clairement sur ce plateau que le jeu prend toute sa dimension et révèle toute sa richesse. S’il est difficile de débuter sur ce plateau, tellement il semble immense, on y vient forcément quand on commence à jouer régulièrement.
 Les autres plateaux seront toujours utilisés pour des parties plus rapides ou plus agressives. En effet, le plateau étant plus petit, il faut attaquer encore plus tôt (souvent avec 2 billes sur le petit plateau), ce qui rend le jeu très agressif et donne des parties forcément très différentes du jeu sur plus grand plateau. Cette modularité est vraiment une grande force du jeu. Elle a d’ailleurs été exploitée à fond par l’un des tous meilleurs joueurs du monde de ZERTZ. Ces plateaux ont été créés dans un souci d’équilibre, respectant les bases du jeu, mais rien ne vous empêche de créer vos propres plateaux. Cet aspect supplémentaire permet d’aller encore plus loin dans les parties.
De plus, les parties restent relativement rapides, surtout pour un jeu de cette profondeur. Sur petit plateau, on peut jouer en 15-20 minutes (voire moins) et sur grand plateau, les parties n’excèdent que rarement 30 minutes. Ceci est dû à deux raisons : une partie de ZERTZ compte relativement peu de coups et certains de ces coups sont forcés. On passe donc pas mal de temps à réfléchir sur certains coups pour la création des combinaisons, mais, comme il y a peu de coups, la durée de la partie reste raisonnable, ce qui est plutôt une bonne chose.

Conseils tactiques et stratégiques
Je me permettrais d’appuyer sur un point, évoqué dans le guide mais peut être pas assez mis en lumière : le replacement, c’est-à-dire la position dans laquelle on laisse le plateau au terme d’une combinaison. En effet, la couleur et la position des billes au terme de votre combinaison ont une importance capitale. Quelques fois, cela fera même la différence entre la défaite et la victoire. Il peut être intéressant d’offrir une bille de plus à votre adversaire si cela peut permettre de laisser le plateau dans une position nettement moins avantageuse pour votre adversaire.

Public
Comme tout jeu abstrait, ZERTZ s’adresse à un public très large grâce à ses règles simples. Cependant, il demande une certaine pratique et, face à un joueur expérimenté, peut difficilement se jouer au feeling. De ce fait, de nombreux joueurs peuvent être rebutés par cet aspect.

Conclusion
ZERTZ est clairement un jeu atypique, original, décalé. La découverte du jeu est assez plaisante, mais, rapidement, ce plateau qui se remplit de billes avec peu de place pour autre chose devient frustrant, même si trouvez une petite combinaison est rigolo. Une partie face à un joueur chevronné permet alors de comprendre qu’on avait rien compris au jeu. On découvre alors un nouveau jeu, dynamique et agressif, qu’on ne soupçonnait vraiment pas. Mais il devient alors assez difficile de jouer au feeling et Zertz demande une concentration rare. De plus, le jeu sur un plateau de 61 anneaux est impossible avec le jeu de base, ce qui est un peu dommage. Pour toutes ces petites raisons, je ne donne pas la note maximale à ce jeu.
Mais, avouons qu’avec l’esprit clair, sur un plateau de 61 anneaux (voire un plateau alternatif), avec l’envie de bien se prendre la tête à deux, Zertz vaut bien un 10.


Guide stratégique
Je considère ZERTZ comme un des jeux les plus intelligents, novateurs, profonds, créatifs et éternellement renouvelables qui ne se soit jamais inventé. De plus, je ne connais aucun jeu de cette complexité qui soit aussi court (en temps réel, une partie oscille entre 10 et 40 minutes en fonction du temps de réflexion pris par chacun et/ou de la taille du plateau).

1- le crédit:
Ce premier point est un des moins fréquemment évoqués : ZERTZ est un jeu de gestion où ce sont les coûts et les gains qui déterminent la marge de manœuvre de chacun.
Il y a 4 conditions de victoire. Elles n’impliquent bien sûr pas la même chose en termes de but à atteindre mais aussi en termes de « crédit » dont on dispose pour atteindre ce but (ce que j’appelle crédit sont les billes que l’on peut se permettre d’offrir à l’adversaire pour tenter de remplir une des conditions de victoire).
Il y a 24 billes au total (6 blanches, 8 grises, 10 noires). On gagne avec la majorité des billes d’une couleur soit avec 4 blanches, 5 grises ou 6 noires. La dernière condition de victoire est d’avoir 3 billes de chaque couleur ce qui implique dans ce cas d’avoir pris 9 billes (3 blanches, 3 grises, 3 noires).
On voit tout de suite que la voie la plus rapide vers la victoire est celle des blanches (4 billes à prendre contre 5, 6 ou 9 dans les autres conditions…).
De combien de crédit dispose-t-on maintenant pour chacune des conditions de victoire ?
J’ai 11 billes de crédit pour prendre 4 blanches. En effet, je peux offrir à mon adversaire 2 blanches, 4 grises et 5 noires. Je ne peux lui offrir en plus ni une grise, ni une noire (sinon il gagne dans une de ces couleurs), ni une blanche (sinon il gagne avec 3 billes de chaque couleur). C’est donc la marge de manœuvre maximale dont je dispose ici pour atteindre mon objectif.
J’ai 10 billes de crédit pour prendre 5 grises. En effet, je peux offrir à mon adversaire au maximum 2 blanches, 3 grises et 5 noires ou 3 blanches, 2 grises et 5 noires. J’ai donc ici deux types de crédit à ma disposition, un où je pourrai offrir plus de grises, l’autre où je pourrai offrir plus de blanches.
J’ai 10 billes de crédit également pour prendre 6 noires. En effet, je peux offrir à mon adversaire au maximum 2 blanches, 4 grises et 4 noires.
J’ai 11 billes de crédit pour prendre 3 billes de chaque couleur. En effet, je peux offrir à mon adversaire au maximum 2 blanches, 4 grises et 5 noires.
Une des clés du jeu, on y reviendra en ce qui concerne le choix des couleurs, consiste à placer des billes qui, si elles sont utilisées (c’est à dire si elles me sont offertes), feront fluctuer défavorablement le crédit dont dispose mon adversaire et/ou l’obligeront à m’approcher de la victoire.
La seconde conclusion que l’on peut tirer est que les blanches en plus d’être la voie la plus rapide vers la victoire est également celle qui offre le plus de crédit pour y arriver.
On peut donc faire le classement de valeur suivant entre les différentes couleurs de billes :
1-les blanches (4 pour la victoire / 11 billes à offrir à l’adversaire)
2-les grises (5 / 10)
3-les noires (6 /10)
Une partie de ZERTZ commencera donc logiquement toujours par une lutte pour les blanches: la ruée vers l’or blanc…
Le dernier point à voir est : comment évaluer les dépenses ? Ou, en d’autres termes : jusqu’à combien de billes je peux offrir à mon adversaire pour en prendre une seule ? Jusqu’où un échange est-il rentable ?
Il faut prendre en compte essentiellement 2 points : le nombre de billes que l’on va donner (influence principalement sur le crédit) et leur couleur (influence principalement sur les conditions de victoire).
Comme nous avons vu que ZERTZ commence par une chasse aux blanches, voyons ce que je peux donner au maximum à mon adversaire pour récupérer une blanche. Si je prends 1 blanche après avoir donné à mon adversaire 2 noires et 1 grise, l’échange est satisfaisant. Pourquoi ? Parce que je suis plus près de la victoire que lui (avec 1 blanche je suis à 3 billes de la victoire quand mon adversaire reste à 4 billes de la victoire que ce soit en noir ou en gris). Quant au crédit, je peux encore lui offrir 8 billes (il a 3 billes en poche) pour obtenir les 3 blanches qui me manquent (soit 2.6 billes / blanche) et lui dispose de 9 billes (j’ai 1 blanche en poche) pour obtenir 4 noires ou 4 grises (soit 2.25 billes / grise ou noire) ou de 10 billes pour obtenir 4 blanches (soit 2.5 billes / blanche). Je suis gagnant sur toute la ligne… Par contre, si je dois lui offrir une seule bille de plus, ce n’est plus intéressant car il se retrouverait à égale distance de la victoire que moi mais avec plus de billes en poche (et donc, un crédit inférieur pour moi par rapport à lui pour atteindre une condition de victoire). Autre exemple: Si je veux récupérer 2 blanches en échafaudant une combinaison avec double prise, je disposerai pour ce faire au maximum de 6 billes (3 noires, 2 grises, 1 blanche). Je suis à 2 blanches de la victoire et mon adversaire est à 3 billes noires, grises ou blanches de la victoire. Attention, il ne me restera ici que 5 billes à offrir pour prendre 2 blanches (2.5 billes / blanche) quand mon adversaire pourra encore m’offrir 9 billes pour prendre 3 blanches (3 billes / blanche) ou 8 billes pour prendre 3 noires ou 3 grises (2.6 billes / noire ou grise). Donc, si j’ai 2 blanches en poche, je dois me donner comme priorité absolue d’en prendre une troisième pour faire baisser le crédit et la marge de manœuvre de mon adversaire, etc., etc.
Vous pouvez vous « amuser » à faire les calculs pour chaque type de bille (pour 2 grises, je peux offrir 2 noires et 1 grise, etc., etc.).
Pour conclure, il suffit ainsi de s’assurer qu’à la suite d’un échange mon adversaire se trouvera plus loin de la victoire que moi en termes de billes à prendre. Il faut néanmoins prendre gare en fonction du contexte et des billes prises par chacun aux influences sur le jeu d’un échange même mathématiquement avantageux qui ne sera pas toujours forcément intéressant. De même, il pourra parfois être intéressant de dépenser plus ou de faire des échanges simples (1 bille contre 1 bille) si cela devait avoir un effet bénéfique pour soi sur la configuration du terrain, sur le crédit, sur les possibilités de jeu de l’adversaire quand il aura récupéré l’initiative, etc.
A Zertz, il faudra donc constamment évaluer à combien de billes on est de la victoire et surtout, combien de billes on peut encore offrir à l’adversaire et de quelle couleur pour remplir efficacement cette condition de victoire. C'est notre marge de manœuvre, ce qui définit nos possibilités de jeu.

2- les couleurs :
Je serai relativement bref sur les couleurs car beaucoup a été dit à ce sujet en ce qui concerne les crédits.
La première chose que l’on doit faire à Zertz est de choisir la couleur de la bille que l’on va jouer. Et bien entendu, cela ne doit pas se faire au hasard. Mais une fois que l’on a assimilé de combien de billes on dispose pour gagner et combien de billes on peut offrir pour prendre 1 ou plusieurs billes, tout devient « plus simple ».
Tout d’abord, on doit parler de la mobilité des billes (c’est à dire de la facilité qu’aura un adversaire de jouer avec une bille et/ou de me l’offrir pour bouger le jeu à sa convenance). Les billes en fonction de leur couleur n’ont pas la même mobilité. Une blanche est moins mobile qu’une grise qui est moins mobile qu’une noire. Un adversaire n’hésitera pas à m’offrir des noires (il en faut beaucoup pour gagner) si il peut au final prendre une bille plus intéressante. Par contre, il hésitera beaucoup plus à m’offrir une blanche qui me rapprocherait plus vite de la victoire. En fonction des contextes, bien sûr, la mobilité des billes évolue. Si j’ai des grises par exemple, chaque grise offerte par l’adversaire est une bille qui m’approche de la victoire. Donc, une grise que je pose sur le plateau devient dans ce cas pour mon adversaire une bille à mobilité réduite quand pour moi par contre, c’est une bille que je pourrai éventuellement utiliser plus tard pour générer des combinaisons intéressantes. La mobilité des billes évolue donc constamment en fonction des contextes, des choix et des attaques et une même position occupée par une blanche, une grise ou une noire impliquera toujours en termes de jeu des possibilités différentes. Jouer sur et avec la mobilité des billes est une des clés de Zertz.
D’une manière générale, j’ai intérêt à placer une bille qui m’approchera de la victoire si mon adversaire veut l’utiliser ou de placer une bille que mon adversaire a besoin de prendre pour s’approcher de la victoire (si il n’y a plus beaucoup de billes de cette couleur dans la réserve générale par exemple). Cela dépend des contextes mais dans les deux cas, m’offrir cette bille devra être handicapant pour lui et mener à bien une combinaison ne lui sera alors plus aussi favorable, m’offrir la bille revenant à générer pour lui une situation dangereuse au moment où je récupèrerai l’initiative. D’un point de vue offensif, il peut également être intéressant de placer une bille que je peux offrir en quantité à mon adversaire pour préparer une attaque ultérieure à l’aide de cette bille (en prenant gare toutefois à ce qu’elle ne lui profite pas plus qu’à moi…).
L’idéal à Zertz est donc de travailler (au moyen du choix des couleurs, du placement, de l’anneau retiré et des prises échafaudées) pour pouvoir augmenter les possibilités de placer des billes que je pourrai utiliser (offrir à mon adversaire) sans que lui puisse le faire (ou au détriment de m’approcher très sensiblement de la victoire et/ou de s’en éloigner). La guerre de pouvoir pour avoir plus de contrôle sur le jeu que son adversaire et le chemin vers la victoire commencent et se dessinent ici.

3- les anneaux :
Après avoir choisi la couleur de la bille que l’on va jouer, il faut la placer et retirer un anneau.
Pour simplifier, on peut déterminer 2 zones de placement à Zertz : le centre et la périphérie. Ce que j’appelle le centre est la zone où une bille est à deux anneaux du bord (c’est à dire qu’un adversaire même en enlevant un anneau ne peut utiliser cette bille sans l’offrir). La périphérie bien entendu est la zone où la bille est au bord ou à un anneau du bord (c’est à dire qu’un adversaire pourra utiliser cette bille au moins une fois sans l’offrir forcément). Une bille au centre sera obligatoirement moins contrôlable qu’une bille en périphérie qui pourra être plus facilement bougée. La périphérie est donc une zone critique. Une bille placée au centre est en général un coup défensif, une bille placée à la périphérie est en général un coup offensif. Si l’adversaire ne peut profiter favorablement d’une bille que l’on a placé en périphérie, elle pourra être utilisée par nous lorsque l’on reprendra l’initiative (gare toutefois à être bien sûr que ce coup ne puisse se retourner contre nous). Que l’on place des billes au centre ou à la périphérie, attention comme toujours de ne pas se tromper sur la couleur (une erreur à ce sujet peut être encore plus dramatique bien sûr si l’on a placé la bille à la périphérie).
Une fois que l’on a placé une bille il faut retirer obligatoirement un anneau. Donc, forcément, plus la partie va durer, plus le plateau va se rétrécir ce qui implique que le centre va perdre toujours plus de terrain sur la périphérie. Les possibilités offensives vont donc décupler au fur et à mesure de l’avancement du jeu. Au-delà de cet aspect général, il faut comprendre qu’un anneau retiré fait toujours gagner du terrain à la périphérie sur le centre et donc augmente les opportunités d’attaques. Attention donc à ne pas se tromper sur l’anneau que l’on retire… Une erreur en ce qui concerne cet aspect critique et fondamental de Zertz peut être d’une aide énorme pour l’adversaire que ce soit pour mettre en place une combinaison de mouvements et de prises, pour favoriser la formation d’une île, etc. Un anneau mal choisi réduira les coûts de l’adversaire et/ou lui facilitera la tâche pour nous mettre en difficulté. Il faut à tout prix éviter cela.
Les anneaux dont je viens de parler sont en fait la 3ème composante de ce qui constitue un seul et même coup : choisir la couleur, placer la bille et retirer l’anneau sont souvent vus comme des étapes distinctes et successives alors qu’elles doivent être pensées comme un tout. Si je place bien une bille de la mauvaise couleur, c’est une erreur puisque mon adversaire pourra l’utiliser aisément. Si je place bien une bille de la bonne couleur mais que j’enlève le mauvais anneau, c’est un mauvais coup puisque j’ouvrirai sûrement des possibilités de prises et/ou de mouvement plus faciles et/ou moins chères, etc., etc., etc.
Je dois donc penser la couleur, la position de la bille et l’anneau à enlever simultanément et non successivement de manière à pouvoir gêner le plus possible mon adversaire ou au moins à l’obliger à me donner une ou plusieurs billes intéressantes si il veut diriger le jeu. Une faille dans l’un des trois aspects facilitera toujours la tâche à celui qui reprendra l’initiative. Zertz n’est pas un jeu où l’on peut bloquer son adversaire. Il y a toujours une solution à un problème donné, forcément. Maintenant, les coûts seront plus ou moins élevés en fonction de la justesse de la couleur choisie, de la qualité de la position de la bille et de la pertinence de l’anneau retiré. On ne peut dire à Zertz : « tu ne pourras pas prendre cette bille ». On doit dire : « si tu veux cette bille, elle te coûtera tant ». Zertz est un jeu totalement tourné vers l’offensive. On ne défend pas, on prépare ses attaques mais aussi le prix de celles de notre adversaire à l’aide de ces trois coups (couleur, pose, anneau) qui ne doivent en fait en former qu’un seul.

4- les prises :
Il y a 3 types de prises à Zertz : la prise type Dames, la prise par la formation d’îles et celle que j’appelle la prise double-coup.

a) la prise type Dames :
C’est la plus classique. Comme aux Dames, il faut utiliser le potentiel donné par la prise obligatoire pour faire évoluer le jeu à votre avantage et amener votre adversaire où vous voulez l’amener. Une des différences avec les Dames est que le plateau lui aussi bouge au gré des prises avec les anneaux qui disparaissent pour chaque bille mise en jeu. Vous ne contrôlez donc pas seulement le mouvement des billes au moyen de la prise obligatoire mais aussi la transformation géographique de la surface de jeu. Il est donc possible de planifier des transformations assez fortes de physionomie de jeu en passant progressivement de contextes de prises impossibles à des contextes favorables en retirant habilement les anneaux adéquats. Le mouvement des billes doit aller de pair, en complète osmose, avec les transformations du continent sur lequel elles évoluent.
De manière plus pragmatique (et on en revient à l’aspect gestion de Zertz), il faut savoir que le nombre de billes maximum que vous pourrez prendre avec ce type de prise sera toujours égal au nombre de billes présentes sur le plateau moins une (celle qui va prendre au final). Donc, si j’ai 3 billes sur le plateau par exemple, je ne pourrai en prendre que 2 en prise Dames.

b) les îles :
C’est une des nombreuses originalités de Zertz. Si une île se forme à la suite du retrait d’un anneau et que cette île est remplie de billes (il ne doit pas y avoir d’anneau vide sur ce nouveau continent), le joueur qui a créé l’île remporte la ou les billes qui la remplissent. Utiliser la prise obligatoire pour former des îles en sa faveur est un des points clés de ce jeu. Seule un certaine pratique et expérience de cette possibilité assez contre-nature d’un point de vue ludique permettent de jauger les tenants et aboutissants de ce type de prise.
Je donnerai juste deux points basiques et essentiels à avoir en tête. Tout d’abord, le nombre de billes à offrir pour former une île est égal au nombre d’anneaux à retirer moins un (par exemple, si je dois retirer 3 anneaux du plateau pour pouvoir isoler un anneau, je dois offrir 2 billes afin de pouvoir retirer les 2 premiers anneaux, le dernier anneau étant retiré à la suite de la pose de la bille sur l’île pour la remplir ; je n’ai donc pas à offrir cette 3ème bille si elle sert à peupler l’île qui va être formée). Ensuite, contrairement à la prise Dames, la prise île peut permettre de gagner 1 bille de plus qu’il n’y en a sur le plateau (si il y a 2 billes sur le plateau, je peux en gagner jusqu’à 3 au moyen de la prise île, laissant dans ce cas un plateau vide à mon adversaire ; vous pouvez aller voir par exemple l’historique de la partie 320 sur Boîte à jeux pour avoir un exemple de ce cas de figure). Inutile donc de souligner la puissance de ce type de prise et l’importance qu’il y a à le maîtriser correctement tant pour prévenir les possibilités que pourrait avoir notre adversaire de prendre de cette manière que pour préparer les nôtres (en type Dames, je ne peux gagner au maximum qu’une bille de moins que le numéro total de billes présentes quant ici, c’est jusqu’à une bille de plus que le numéro total de billes présentes que je peux empocher…).

c) le double-coup :
C’est le moins utilisé car le plus complexe et pourtant, il est fondamental pour commencer à maîtriser réellement Zertz. Qu’est-ce qu’un double-coup ? C’est placer une bille à côté d’une autre de telle manière que l’adversaire ait le choix de prendre l’une ou l’autre, d’emmener une bille d’un côté ou de l’autre. C’est un coup qui s’utilise surtout avec les billes qui se trouvent dans la zone centrale du plateau. Sans entrer dans des détails que vous découvrirez avec la pratique, que permet essentiellement le double-coup ? Il permet de bouger des billes du centre vers la périphérie. Et comme nous l’avons vu dans la partie précédente, la périphérie est une zone où je contrôle beaucoup plus facilement les billes. C’est donc le contrôle qui en jeu avec ce type de prises. Bien sûr, plus le plateau est grand (c’est à dire plus la zone centrale est importante), plus le double-coup devient vital. Le choix de la couleur devient ici encore plus critique, l’adversaire se trouvant face à deux possibilités de prises. Ensuite, il faudra bien entendu estimer très correctement ce qu’implique le fait qu’un adversaire prenne d’un côté ou de l’autre. Dans les deux cas, il faudra s’assurer de pouvoir générer une combinaison et/ou un contexte intéressant. Se dire : « si il prend de ce côté c’est bon pour moi mais si il va de l’autre côté je suis cuit » est toujours un mauvais coup car un joueur d’expérience lira toujours correctement les implications. Zertz n’est pas un jeu de bluff. On ne peut y jouer son avenir à pile ou face. Un bon double-coup est un coup qui génèrera une situation avantageuse quelle que soit l’option prise par l’adversaire (maintenant une option peut très bien être plus favorable qu’une autre… à l’adversaire de bien jauger les implications de chaque choix). Enfin, et je ne le répèterai jamais assez, inutile de souligner encore une fois l’importance de choisir la bonne couleur et d’enlever le bon anneau (importance peut être même encore plus grande avec ce type de coup).
5- un jeu atypique:
Beaucoup de gens, au-delà de son évidente profondeur, sont souvent un peu déroutés par Zertz. Je suis moi-même passé par cette phase quasi-obligée où le jeu laisse sceptique. Cela tient principalement au fait que Zertz prend systématiquement à contre-pied toutes les habitudes ludiques établies.
Je vais tenter pour conclure ce guide de dresser une liste non exhaustive de certaines caractéristiques tant hors du commun de ce jeu formidable. J’espère qu’elles constitueront également une bonne aide de jeu pour permettre d’apprécier pleinement ce jeu unique dans la production ludique actuelle et passée.

a) Rien n’appartient à personne ou tout est à tout le monde :
Ce procédé ludique n’est pas nouveau même si il reste peu commun, surtout poussé à l’extrême comme c’est le cas avec Zertz. Qu’implique-t-il dans le fond ? Qu’il est inutile de construire ou tendre des pièges qui seront utilisés contre nous par un adversaire qui s’en rendra compte et qui utilisera ce que l’on aura échafaudé. Construire des pièges revient à travailler pour l’autre.

b) Offrir pour prendre :
Je ne gagnerai rien à Zertz sans offrir à l’adversaire (voir entre autres la partie sur le crédit).

c) Ma réserve, c’est toi :
Les pièces de l’adversaire ne déterminent pas seulement le nombre de billes qui lui manquent pour atteindre la victoire, elles déterminent surtout mes possibilités de jeu, ma réserve : de combien de billes (et de quelles couleurs) je dispose pour contrôler le jeu ou en d’autres termes, combien de billes (et de quelles couleurs) je peux encore offrir à l’adversaire (voir ici aussi le crédit).

d) Tu ne joues pas pour toi, tu joues pour l’autre :
C’est la clé de Zertz : comprendre que chaque bille posée par soi sur le plateau est un coup qui multiplie les possibilités de l’adversaire. Estimer ce qu’il pourra en faire et dans quelle condition il laissera le plateau au moment de nous redonner l’initiative est le cœur du jeu.
Poser une bille et enlever un anneau est donc le coup le plus critique car le plus offensif qui puisse être fait à ce jeu. Pourquoi offensif ? Car si j’oblige mon adversaire après mon tour à poser une bille supplémentaire, je me retrouverai avec plus de possibilités de contrôler le jeu, d’échanger les bonnes billes, etc. Pourquoi critique ? Car en plaçant moi-même une bille, je dois estimer d’emblée ce que pourra faire l'adversaire avec cette couleur et cette position en terme de mouvements et de prises. Si il est dans une position inconfortable en terme de couleur de bille à m’offrir et/ou de nombre de billes à me donner pour arriver à ses fins, mon coup va l’obliger à poser une bille supplémentaire et à démultiplier mes possibilités de jeu (voir entre autres la partie sur les anneaux).

e) Prendre, c’est défendre :
Plus je prends de billes et donc plus j’offre de billes à l’adversaire, plus je limite ses possibilités en terme de choix directs (il doit prendre) et à plus long terme (lui laisser un plateau défavorable quant aux positions, au nombre et aux couleurs de billes présentes sur le plateau au moment où il récupère l’initiative). Si je ne peux placer une bille et retirer un anneau sans laisser mon adversaire en position de force, je dois provoquer des prises avec les finalités suivantes : offrir le plus possible de « mauvaises » billes à l’adversaire (noires par exemple) pour m’en octroyer des « bonnes » (blanche(s) par exemple), c'est-à-dire être à la fin de mon tour plus proche de la victoire que lui ; si je peux arriver à cette combinaison de différentes manières, je dois choisir celle qui laissera la ou les billes restantes (quant à couleur et/ou à position) dans la configuration la plus incommode pour l’adversaire au moment où il récupèrera l’initiative ; dans tous les cas, je devrai donc arriver à la suite d’échanges successifs à un plateau plus vide ou moins commode qu’il ne l’était ce qui est essentiel avant de laisser à nouveau l’initiative à l’adversaire.
Prendre et faire prendre, c’est défendre, c’est laisser l’adversaire avec moins de possibilités qu’il n’en aurait eu si j’avais dû placer une bille.

f) Plus je respecte l’adversaire, plus je suis fort :
Un peu comme au Go où il est mal vu de chercher à défendre un territoire perdu à long terme en se disant que l’adversaire commettra peut-être une erreur, il est vain à Zertz, de tenter un coup en se disant « peut-être qu’il ne le verra pas »… Ce qu’il faut se dire à Zertz c’est : « mon adversaire voit et sait toutes les possibilités que je laisse à sa disposition ». Si l’on pense comme cela, la position que l’on va chercher et trouver va être la plus difficile pour l’adversaire quelles que soient les possibilités dont il dispose. Et le jeu se cristallise là-dessus. Zertz n’est pas un jeu de prise, c’est un jeu de position (de bille, de couleur et d'anneau). Les prises ne sont que les conséquences de bonnes ou de mauvaises positions.

g) Les continents :
Dans l'absolu, il n'y a pas de limites à la création possible de plateaux de jeu à Zertz. Chacun est libre de jouer sur l'espace qu'il aura conçu, pensé et construit... Bien sûr, il faut que les plateaux soient relativement compacts (éviter la possibilité de donner des îles trop facilement ou rapidement et laisser la possibilité de placer des billes sans avoir à donner directement ou de manière inéluctable l'avantage à l'adversaire) et la taille maximale d'un plateau de Zertz n'a comme limite que le fait qu'il puisse y avoir à un moment donné un intérêt et des possibilités d'offrir des billes à l'adversaire pour en récupérer soi-même (l'espace de jeu doit donc être suffisamment restreint pour interdire de placer les 24 billes sans qu'elles ne puissent jamais se prendre avantageusement au moyen de combinaisons de prises et/ou d’îles). Et ces contraintes laissent en fait un nombre énorme de possibilités.
h) La poésie :
Zertz est donc un jeu qui laisse la possibilité constante d’être créatif tant du point de vue des placements que des mouvements (le mouvement des billes mais aussi celui du plateau de jeu lui-même, l’un et l’autre devant idéalement fonctionner en osmose : c’est d’ailleurs un peu la quadrature du cercle qu’il faut trouver à Zertz ou de laquelle il faut au moins tenter de s’approcher).
Des billes apparaissent, d’autres disparaissent, certaines passent d’un côté à l’autre du continent tandis que d’autres restent immobiles, comme figées, spectatrices d’une danse de couleurs ; des îles se forment, des parties entières du plateau disparaissent subitement, comme englouties par une érosion ; les formes et les reflets ondulent et changent comme par magie et quand tout se calme enfin, on est devant une figure totalement différente que celle qui l’a initiée.
Zertz a ce côté magique et poétique très particulier que je n’ai retrouvé dans aucun autre jeu à ce jour.
6- Conclusion ou introduction ? :
Un jeu où l’on offre pour gagner, un jeu où l’on attaque en positionnant et où l’on défend en prenant des pièces, un jeu où je ne possède que ce qu’a l’adversaire, un jeu dont la surface bouge sans cesse et est éternellement renouvelable d’une partie sur l’autre… Beaucoup de procédés, d’habitudes ludiques sont retournées comme un gant par Kris Burm. Zertz commence où mes habitudes ludiques s’arrêtent. Quand j’ai compris par exemple que je n’ai pas à préparer de prises mais que ce sont les prises de l’adversaire que je dois préparer avec un placement adéquat ; que cette bille que je place sur le plateau ne m’est pas immédiatement destinée mais qu’elle est une succession de possibilités supplémentaires offertes à mon adversaire ; que je me dois d’avoir conscience de ces possibilités pour qu’une fois qu’il en aura exploitée une je sache que la nouvelle position et répartition du plateau et des billes me permettront de réagir positivement et de profiter au maximum de mon initiative, etc., etc., etc. A ce moment là, le jeu commence réellement et il est tout autre que n’importe quel autre jeu.


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